Le grand retour d'emmanuel boisvert
December 18, 2015
Par Laurent Godbout
Québec - Retournons un peu dans le temps. Plus précisément au 6 décembre 2013. Emmanuel Boisvert vient de connaître les meilleurs moments de sa carrière d'athlète. Médaillé de bronze du 5000 mètres aux Jeux du Canada à Sherbrooke avec son meilleur temps (14:38), une belle saison de cross et un 16e rang aux championnats canadiens civils à Vancouver, l'avenir est radieux pour l'étudiant en administration à l'Université Laval.
Au cours d'un soirée de Noël du Rouge & Or, ce soir fatidique du 6 décembre, en un court instant, le cours de sa vie bascule. Pendant une banale conversation avec des amis, Emmanuel semble perdre l'équilibre, se retient d'une main au sol pour ne pas tomber. En tentant de se relever rapidement, il subi une grave chute de pression, il est étourdi et chute lourdement au plancher, heurtant la tête au sol.
Inconscient, il est transporté d'urgence à l'hôpital. «Mannu» avait subi deux fractures du crâne, résultant en saignements frontal et temporal. «Ça ne m'était jamais arrivé avant. Même aujourd'hui, je n'ai aucun souvenir de ce qui s'est passé dans la semaine qui a suivi.»
Que s'est-il passé? «C'est difficile à dire, mais je crois que c'était le résultat d'une multitude de choses. J'avais couru le cross à Vancouver, nous sommes revenus de nuit et j'étais en période d'examens et de remises des travaux avant et après. J'étais très fatigué et le soir même j'avais eu un examen. De plus, j'avais mangé tôt et je n'avais rien mangé par la suite.»
Les tests effectués par la suite n'ont révélé rien d'anormal. Emmanuel s'est donc «réveillé» dans un lit d'hôpital une semaine plus tard, sans trop comprendre ce qui lui était arrivé. «Je ne me souviens pas de la première semaine. Après une semaine, je me souviens avoir demandé aux infirmières quand est-ce que je sortirais et qu'on m'avait répondu dans deux ou trois jours. Ce sont mes seuls souvenirs.»
La longue route de la réhabilitation
«À ma sortie d'hôpital, je marchais très lentement, je ne pouvaispas tourner la tête, sans compter que j'avais une paralysie faciale importante affectant la moitié de mon visage. Tout allait trop vite pour moi. J'avais des étourdissements en marchant, j'avais de la difficulté à garder l'équilibre. J'avais aussi un manque de jugement, j'étais facilement irritable et constamment fatigué. Je sentais aussi une pression sur mon crâne à cause de l'edem.»
Sa motivation demeurait intacte malgré tout et il était déterminé à revenir au plus vite. «Le médecin m'avait dit que je devais prévoir six mois à un an avant de reprendre mes activités normales. En réalité, un mois et demi après, je recommençais à faire du petit fractionné, comme une minute de course et une minute de marche. On s'est assuré par la suite que je n'avais pas de maux de tête ou d'étourdissements avant de continuer la progression. Quand je trotinnais, j'avais l'impression que tout allait très vite autour de moi.»
À ce stade, Emmanuel a grandement bénéficié du soutien de l'équipe médicale de la clinique Cortex et du suivi par le Dr. Philippe Fait. «On y allait très progressivement et on faisait des tests réguliers sur mon centre de gravité pour s'assurer que tout était normal. Après chaque séance, je lui donnais un feedback de ce que ressentais et on pouvait contrôler ma progression.»
Ayant manqué toute la session d'hiver 2014, il avait aussi à reprendre les examens manqués de l'automne 2013 seulement au mois d'avril. De janvier à avril 2014, Emmanuel s'est employé à graduellement reprendre toutes ses activités incluant des petites séances d'entraînement. En mars 2014, il en était à 30 minutes consécutives de course lente, sans intensité. On est loin de la grande forme!
Premières courses
Encouragé par ses coéquipiers du club, son entraîneur Félix-Antoine Lapointe et la structure de soutien du Conseil du sport de haut niveau de Québec, Emmanuel s'est remis dans une forme suffisante pour faire quelques tests de courses au printemps 2014. D'abord, un 10 km à Lévis (32:22) et ensuite un 10,000 mètres sur piste à la Soirée Rouge & Or en juillet (32:08).
Est-ce qu'il y a eu un moment où tu ne pensais pas revenir au niveau où tu étais?
«Comme j'étais toujours en progression au début, ça ne m'est pas venu à l'idée. À ma sortie d'hôpital, mon jugement n'était pas excellent, je n'avais pas d'émotions et je m'appliquais à faire ce qu'on me disait de faire. J'étais un peu comme un robot. Par la suite, je progressais bien et je n'étais pas encore à une étape où ça pouvait être difficile psychologiquement.»
Le plus difficile après une année d'entraînement
La période la plus difficile est survenue surtout après une année complète d'entraînement, au début de 2015. Comme cette fois où il courrait un temps de 8'54'' au 3000 mètres des championnats canadiens en salle à Montréal. «Faire 8'54'' là quand je courais 8'51'' en juvéniles, après une année d'entraînement continu, je me posais des questions. C'est là que ça été le plus difficile.»
Durant cette période où il doutait, il se demanda si le jeu en valait la chandelle, «Je me demandais si ça valait la peine de tout faire ça, de m'entraîner aussi sérieusement pour être bloqué et ne pas parvenir à revenir à mon meilleur niveau. Je me disais qu'il fallait peut-être que je me consacre un peu plus à ma future vie professionnelle. Je me demandais quel avenir j'aurais dans le sport.»
Malgré ces questionnements, Emmanuel, alors âgé de 23 ans, persista. «Je me suis dit que j'allais y mettre les efforts tant et aussi longtemps que je serais universitaire et après on verrait bien.»
Été 2015. Emmanuel fait peu de compétitions mais il s'entraîne bien. «J'ai fait le 5km Prédiction à Québec en 15:35 et je n'étais pas content. Par la suite je suis allé en camp d'entraînement en Virginie et ça s'est bien passé. Ensuite, le 10 km à Ottawa s'est mieux passé (31.43).»
Par la suite, les choses ont commencé à mieux aller. «J'ai couru le 5 000 mètres de la Soirée du Rouge & Or en 14:46. J'étais content, mais je n'étais pas encore confiant parce qu'il me manquait une certaine constance dans mes entraînements et mes résultats.»
Le déblocage en cross
L'automne 2015 allait être le moment de la récompense. Après tous ces efforts, Boisvert le crossman terminait 9e aux championnats provinciaux à Grand-Mère, puis 13e aux championnats canadiens universitaires SIC (31:04) à Guelph, avant de couronner le tout par un 11e rang aux championnats canadiens civils à Kingston. À chacune des trois courses, il courait de mieux en mieux. même contre les meilleurs coureurs canadiens.
Avec le recul, es-tu prêt à dire que tu es plus fort maintenant que tu ne l'étais avant l'accident? «Je pense que oui. Surtout après ma 11e place dans une course très forte à Kingston. Comparativement à mon rang il y a trois ans, dans une course plus relevée cette année, je pense que je suis revenu à mon meilleur niveau.»
Quels sont maintenant tes plans? «On a pris un petit repos actif après les cross. Je commencerai la saison intérieure au McGill Team Challenge en janvier. J'ai un programme du circuit universitaire cet hiver».
Qu'est-ce que cette expérience t'a appris sur toi-même? «On ne peut pas avoir des résultats seulement en mettant des efforts dans une période précise. C'est surtout le cumul des efforts et la constance qui vont permettre des résultats. Dans notre sport, on ne peut pas être excellent du jour au lendemain. À force d'accumuler les années d'entraînement, ça finit par payer.»
Crois-tu que tu serais plus fort maintenant si ce n'était de ces deux années «perdues»? «C'est difficile à dire. On ne peut pas savoir. Peut-être que j'aurais présentement de meilleures performances. J'aurais peut-être atteint un meilleur niveau chez les universitaires ou peut-être que j'aurais pu faire une équipe nationale universitaire mais c'est impossible de le savoir. Cela a certainement dérangé mon cheminement universitaire, mais qui dit que cela affectera l'atteinte de mon meilleur niveau à vie?»
Un jour, le marathon?
Emmanuel Boisvert, depuis fort longtemps, rêve de courir le marathon. La veille de la course de Kingston, dans l'autobus de l'équipe du Québec, il nous confiait qu'il pensait courir un marathon en 2016. «Euh, c'est vrai que j'ai dit ça, mais depuis les championats canadiens de cross, avec 30:27 aux 10 kilomètres, le plan n'est plus tout à fait le même! Pour le moment, je me concentre sur la saison universitaire et j'aimerais courir un 10 000 mètres sur piste en avril et un demi-marathon au printemps comme test. Selon les résultats, on verra ensuite ce que je ferai pour l'été. Si je venais à tenter le marathon, ce serait peut-être en juin à quelque part comme Duluth au Minnesota.»
«J'ai toujours été un coureur de long depuis que je suis jeune. Je suis quelqu'un qui encaisse bien le gros volume d'entraînement. C'est pour cela que je pense que je pourrais bien faire sur cette distance.»
Quelle que soit sa décision, Emmanuel semble aujourd'hui prêt à atteindre de nouveaux objectifs en athlétisme. Maintenant étudiant au MBA en comptabilité, il s'est également impliqué comme trésorier de la Fondation Pier-Yves Bouchard, dont la mission est d'aider les personnes ayant subi un traumatisme craniocérébral sportif. «Quand on est victime d'un tel accident, on ne sait pas toujours où trouver le soutien. Sans le soutien de mes coéquipiers, de l'équipe de la clinique Cortex du Dr. Philippe Fait, sans Félix, le Rouge & Or et le Conseil du Sport de Haut niveau de Québec, je n'aurais peut-être pas pu revenir comme je l'ai fait.»
En attendant sa prochaine compétition, notre miraculé partait pour un camp d'entraînement d'hiver à Phoenix en Arizona avec quelques coéquipiers, question de fuir un hiver qui tarde à se manifester.