Pour audrey jean-baptiste, la route vers rio passe par phoenix
January 2, 2016
Par Laurent Godbout
Montréal - On pensait bien la retrouver chez elle à Montréal pour le congé du temps des Fêtes. Mais c'est plutôt par Skype, entre Noël et le premier de l'An, que nous avons finalement joint Audrey Jean-Baptiste, à Phoenix, en Arizona. Après une année 2015 bien remplie, où elle améliorait les records du Québec en salle et en plein air du 400 mètres, avec des participations aux Jeux panaméricains et aux championnats du monde à Pékin, la montréalaise âgée de 24 ans en était à la croisée des chemins. Graduée de l'université de Tulsa, en Oklahoma, elle devait déterminer en septembre dernier où et avec qui elle allait préparer sa prochaine saison, peut-être la plus importante de sa carrière, à moins d'un an des Jeux olympiques de Rio. Son choix s'est arrêté sur Phoenix et le groupe Altis.
Tu as décidé de ne pas venir à Montréal pour le congé de Noël?
Ça commence à bien aller dans mes entraînements. Je ne voulais pas revenir à la maison, prendre une pause et avoir à recommencer. Je préférais rester ici et continuer mon entraînement. J'ai eu des réunions au Canada au début du mois de décembre avec Athlétisme Canada, Pétro-Canada et CBC. Je n'avais qu'une semaine de libre dans le temps des Fêtes et j'avais déjà manqué quelques jours ici, donc j'ai décidé de rester ici.
Dans quelles circonstances, comment as-tu choisi d'aller vers Phoenix et de te joindre au groupe d'entraînement Altis?
Le recrutement avait déjà commencé en avril. Dès que ma saison universitaire s'est terminée à Tulsa, j'avais déjà pas mal pris ma décision. Il ne me restait qu'à passer à l'action. J'avais déjà discuté avec Andreas (Behm), le directeur du recrutement. Quand ils ont annoncé que Kevin Tyler allait travailler pour eux, ça m'a convaincu. Je connaissais Coach Tyler du temps qu'il était à l'université d'Oklahoma. En un an, il a transformé leur programme et j'ai pu voir à distance son travail.
Tu as connu une bonne saison l'été dernier, avec de bons résultats, mais on a l'impression que la saison a été longue pour toi?
Oui, Mmm. Je ne sais pas. Je ne sais pas comment expliquer. J'essaie de mettre ça derrière moi. Ça été une longue saison. Mettons que cette année, je m'entraîne un peu plus... disons «smarter».
Quand es-tu arrivée en Arizona?
Je me suis installée en septembre. Mon père est venu me conduire de Montréal en auto. Il a passé une semaine avec moi pour m'aider à m'installer et comme je gardais l'auto ici, il retournait à Montréal en avion.
Avant de parler d'entraînement, comment te débrouilles-tu financièrement?
J'ai mon «carding», mais j'ai aussi une aide financière d'une bourse Petro-Canada et de la Fondation de l'Athlète d'excellence. C'est la première fois que je paye des comptes. Le loyer, l'électricité, je fais attention à l'eau, aux lumières, c'est différent. Y a plein de trucs que je me rends compte qui coûtent cher. Les poubelles, les assurances... Je suis rendu vieille!
Tu as donc de nouvelles responsabilités, si on peut le dire ainsi?
Oui. J'utilise le «carding» pour payer le loyer, la nourriture, principalement.
Tu ne vis pas dans un grand luxe. Tu dois aussi avoir un budget pour les déplacements aux compétitions?
J'attends de voir comment ça va aller en janvier. Je vais essayer d'être invitée dans des compétitions. Il se peut aussi que je doive investir dans quelques déplacements au début. On verra après comment ça se passera.
Au point de vue entraînement, quelles sont les différences entre ce que tu as fait depuis trois ans à Tulsa et ce que tu fais maintenant à Phoenix?
Ici, on travaille beaucoup sur ma vitesse. C'est différent. C'est une culture différente. Quand tu es dans un programme universitaire, le coach a beaucoup de pression pour que tous les athlètes aient des résultats. On est en compétition presque tous les weekends et on doit suivre le calendrier universitaire. Tandis qu'ici, on travaille aussi fort mais avec un peu moins de volume. On met l'emphase sur la qualité et non la quantité. Mettons que dans le groupe de sprints longs, il y a trois groupes et on peut travailler avec les trois groupes.
Qu'est ce qui distingue les trois groupes? Le niveau?
C'est vraiment le style de coureurs. Il y a des coureurs qui font le 400 mètres juste parce qu'ils sont super rapides. D'autres parce qu'ils ont besoin de longue distance à l'entraînement. Il y en a d'autres qui sont au milieu parce qu'ils ont besoin des deux. Pendant les premières semaines, ils m'ont envoyé avec tous les groupes pour voir quel genre de coureur j'étais. Après trois semaines, ils m'ont bien identifié et je suis dans un groupe où je suis bien.
Vous avez un environnement professionnel, plusieurs entraîneurs, et avec des services spécifiques. Est-ce que tu dois payer pour tout cela?
Ici, il y a trois catégories d'athlètes. Les professionnels, les semi-professionnels et les athlètes en «scholarship». La priorité chez Altis va vers les professionnels d'abord, ensuite vers la catégorie scholarship et ensuite vers les semi-professionnels. La catégorie scholarship est là pour aider l'athlète à faire le pont entre le programme universitaire vers l'athlétisme professionnel. On nous donne la chance d'atteindre le niveau professionnel. C'est du cas par cas. Chaque personne est évaluée individuellement.
Si je comprends bien, ils investissent sur toi pour que tu passes à un autre niveau et que tu puisses devenir professionnelle?
C'est ça. À toutes les semaines, nous avons une réunion des huit ou dix athlètes en scholarship. Nous avons des devoirs envers l'organisation et nous devons parfois remettre du temps à la communauté comme bénévoles.
Dans le fond, vous êtes comme dans un club?
C'est correct. Par exemple, ils ont organisé un «Road Mile» et les athlètes en scholarship ont collaboré à l'organisation.
Quel est ton programme pour les prochaines semaines?
On fait des cycles de trois semaines. On vient de commencer le cinquième cycle. Au début du prochain cycle, coach Tyler va décider si on prêt à compétitionner. C'est sûr que je commence le 23 janvier ou au début de février. Ce sera probablement dans une compétition en salle en à Flagstaff ou Albuquerque.
Est-ce qu'il y a des chances qu'on te voit au championnat canadien en salle en février?
Ben oui!
Est-ce que les championnats du monde en salle de Portland t'intéressent?
Oui. C'est juste qu'après avoir réfléchi sur ma saison l'année passée, je crois que je me suis mis beaucoup de stress à courir vite indoor parce que je voulais absolument courir sous les 53 secondes. Je crois que j'ai couru 10 courses de 400 mètres en salle pour y arriver. Cette année, si je cours dans les 52 au début et je suis constante, c'est correct, mais si je n'y arrive pas tout de suite, je ne me mettrai pas à multiplier les courses pour courir après le standard (53.15). Mon focus est vers l'été et les championnats canadiens.
Et les Jeux olympiques!
Oui, c'est ça!
Est-ce qu'on peut parler de l'été 2016 ou si tu crains que ça pourrait te «jinxer» (porter malchance)?
Avec le coach, on s'est assis au début de l'année et on en a discuté. L'objectif est simple, c'est de bien «performer» au championnat canadien. C'est vraiment juste à ça qu'on pense. On a commencé à s'entraîner au mois de septembre. C'est un nouveau programme, nouvel entraîneur. Il n'y aucun autre objectif que les championnats l'été prochain.
Qu'est-ce qui est le plus plaisant et le plus difficile à Phoenix?
Le plus plaisant pour moi c'est d'être dans un environnement où tous les athlètes veulent «performer». Un environnement professionnel où tout le monde est positif. Le personnel est très compétent. Le moins plaisant? Je ne sais pas. Jusqu'à maintenant, j'aime mieux ça ici qu'à Tulsa. J'ai fait un peu de randonnée en montagne. J'ai conduit beaucoup pour venir ici, alors on est passé par Flagstaff. J'aimerais aller au Grand Canyon mais il faut que je trouve un weekend.
Pour revenir au groupe d'entraînement Altis, tu as un coach personnel? Comment ça fonctionne?
Oui, mon coach personnel est Kevin Tyler et c'est principalement avec lui que je travaille. Mais ici, les athlètes travaillent avec tous les coachs. Tous les coachs ont leur mot à dire. Par exemple, Dan Pfaff est ici et il est peu comme les yeux sur tout ce qui passe. Nous avons aussi des conférences à tous les jeudis, ça s'appelle AltisU et c'est sur toutes sortes de sujets. J'en apprends beaucoup sur notre sport. Nous touchons des sujets comme la méditation, le sommeil, la nutrition, la mécanique de l'accélération. Maintenant, je comprends un peu plus les principes d'entraînement.
Quelle sera donc la différence qu'on pourra voir chez toi cette année?
Je vais vraiment être plus en contrôle de ma vitesse. Je comprends mieux comment je fonctionne. Je veux être plus rapide au 200 mètres. Je pense que ma techique de course va être meilleure. On passe beaucoup de temps sur la technique. Quand je viens pour faire un 300 mètres à l'entraînement, je suis vraiment plus à l'aise et efficace en courant. La musculation est vraiment différente! Ça m'a pris du temps parce que les mouvements sont plus compliqués à exécuter. Dans l'ancien programme, je faisais une musculation de base tandis qu'ici on fait beaucoup de trucs sur une jambe. Tu ne peux pas tricher!
Aux championnats du monde à Pékin, on a remarqué au 400 mètres qu'il y avait de gros chronos dès le premier tour, tant chez les femmes que les hommes. Est-ce que ça été un choc pour vous?
Ça prenait 51 sec. pour passer en demi-finale. Non, je n'étais pas sous le choc. En athlétisme, plus tu t'améliores, plus ça devient difficile. Tu cours vite mais les autres courent encore plus vite que toi.
On dirait que plus tu approches le sommet, plus le sommet semble s'éloigner de toi?
Oui. C'est à peu près ça.
Pendant que tu es à Phoenix, est-ce que continues à étudier?
Oui, je suis un cours de planification financière via la TELUQ. Avec le cours sur la télé-université, je peux aller à mon rythme. Le cours est avantageux pour moi car je pourrais avoir le titre de planificatrice financière quand je reviendrai au Québec. Je suis aussi en train de préparer un test LSAT pour déposer une demande d'admission en droit. J'ai toujours voulu étudier en droit. J'aime bien l'idée de continuer ma carrière en ayant le statut d'étudiante-athlète. Je ne veux pas juste faire de l'athlétisme ici. Je peux encore aller étudier dans les cafés!
Quand on pense au chemin parcouru, tu veux peut-être oublier certains moments de ta saison d'été 2015, mais si tu prends du recul et que tu regardes les deux dernières années, il y a eu de belles choses et tu as pris beaucoup d'expérience?
Oui, c'est vrai. J'en reviens pas. L'autre jour, je pensais à ça. On s'en va en 2016, c'est une année olympique, et puis je me suis rappelé qu'en 2012, je ne pensais même plus aux olympiques parce que je me disais que ce serait impossible pour moi. Trois ans et demi plus tard, je suis toute proche. En tout cas, ici à Phoenix, je me sens à la meilleure place sur la route vers Rio.