Qu’est-ce que la douleur ?
August 14, 2024
Par Dre Catherine Lemire, chiropraticienne à Clinique Interaxion
Il est inévitable qu’un coureur ressente de la douleur tôt ou tard en course à pied. Cela nous est toutes et tous probablement déjà arrivé ! Qu’elle soit associée à une blessure, à un entraînement à haute intensité, à une course à fond ou à des courbatures, la douleur finira par se faire ressentir. La question est donc : qu’est-ce que la douleur ?
Par définition, la douleur est une expérience sensorielle et émotionnelle désagréable associée à une lésion tissulaire réelle ou potentielle*. La douleur est une expérience personnelle subjective qui dépend de chaque individu et qui est influencée par différents facteurs biologiques (niveau d’hormones de stress, cycle menstruel, niveau d’endorphine et d’adrénaline, etc.), psychologiques (fatigue, anxiété, appréhension, etc.), sociaux et culturels. La douleur a un rôle adaptatif, comme mettre la main sur un poêle qui nous enseigne de ne pas répéter ce comportement. Elle joue aussi un rôle de protection pour favoriser la guérison, comme dans le cas d’une grande douleur associée à une fracture récente, qui nous donnerait un indice de ne pas courir pour un moment. Elle est aussi parfois même ressentie lorsqu’aucune blessure n’est présente.
Comment la douleur est-elle ressentie? Plusieurs types de stimuli peuvent déclencher un message générant de la douleur : ischémique (manque d’oxygène d’un tissu), thermique (chaud, froid) ou inflammatoire (lors de la lésion d’un tissu comme un ligament, tendon, etc.). Chaque situation a donc sa particularité ! Regardons l’exemple d’une douleur aiguë (d’apparition récente), comme lors d’une entorse de la cheville. Au moment de l’entorse, des fibres ligamentaires ou musculaires se déchirent, ce qui relâche une cascade de messagers inflammatoires qui iront stimuler les récepteurs des nerfs de la cheville. Les nerfs captent l’information transmise par les messagers, et agissent comme un fil de téléphone pour relayer l’information jusqu’au cerveau. Sur son chemin, l’information peut être affectée par différents modulateurs. Finalement, c’est le cerveau qui analyse l’information reçue par les nerfs et qui détermine s’il s’agit d’une douleur ou d’un autre type de sensation, de la localisation de la douleur ainsi que l’intensité de la sensation. Tout ce processus se produit en une fraction de seconde, et se produit à répétition.
La transmission du message, son analyse par le cerveau et la perception de la douleur qui en résulte seront modulées selon le contexte. Une expérience antérieure négative d’une blessure à la cheville, un haut niveau de stress ou la crainte d’une blessure sérieuse sont quelques exemples de facteurs qui peuvent augmenter la perception douloureuse. En revanche, d’autres facteurs peuvent faire en sorte que la douleur ressentie due à cette entorse soit ressentie comme moins grande, sans que la déchirure ligamentaire soit pour autant moins importante, tels qu’un niveau de stress faible, une capacité élevée à tolérer la douleur, peu d’appréhension d’une blessure grave, la phase du cycle menstruel, etc. D’ailleurs, plusieurs athlètes subissent des blessures graves lors d’un événement sportif d’envergure, mais ressentent peu la douleur sur le moment en raison des différentes hormones en jeu et des facteurs psychosociaux. Ainsi, l’intensité ressentie de douleur n’est pas nécessairement corrélée directement avec la gravité de la blessure.
Bien qu’elle puisse en être un indicateur, la douleur n’est pas toujours ressentie en raison d’un tissu réellement blessé. Dans certains cas, notamment dans le cas d’une douleur chronique (de longue date), le système nerveux peut nous jouer des tours. La raison initiale de la douleur transmet à répétition des signaux aux nerfs, et avec le temps ces derniers deviennent plus sensibles. Malgré la guérison de la blessure, ils finissent par transmettre des informations provenant de stimuli normalement non douloureux ou amplifient le signal de la douleur. Le chemin de transmission du signal devient tellement efficace à transmettre des stimulis douloureux que le cerveau, qui est conditionné à avoir mal, continue à interpréter de la douleur. Malgré l’absence de lésion, la sensation de douleur ressentie par l’individu est bel et bien réelle et légitime. C’est un phénomène physiologique, appelé sensibilisation de la douleur. L’exercice physique est d’ailleurs un excellent outil pour mieux gérer la douleur chronique. Chez les coureurs, ce phénomène est souvent impliqué entre autres dans le syndrome fémoro-patellaire chronique et l’arthrose.
Fait intéressant, chez les athlètes de longue distance, le seuil de douleur et la tolérance à la douleur sont généralement plus élevés. Cela signifie qu’un plus grand nombre de stimuli est nécessaire afin que le cerveau les analyse comme étant de la douleur, et que l’individu est capable de tolérer plus de douleur. Ces seuils fluctuent d’un moment à l’autre chez un même individu, en fonction du contexte. Ils peuvent même varier en fonction du type d’effort produit ! Selon l’intensité et la durée de l’effort, différentes hormones et messagers sont produits par le corps et viendront influencer à la hausse ou à la baisse la perception douloureuse. Par exemple, les efforts d’intensité modérée de longue durée sont réputés pour diminuer la perception de douleur pendant et après la course. Toutefois, la quantité d’inflammation générée lors des courses d’ultra-endurance peut aussi augmenter la perception douloureuse.
En conclusion, la douleur est un phonème individuel complexe qui fait partie de l’expérience humaine et peut teinter la vie des coureurs ! Lorsqu’une douleur survient, il est toujours judicieux de se poser les bonnes questions et de replacer la douleur dans le contexte vécu, sans pour autant la négliger. Mieux la comprendre permet de mieux l’intégrer et de la gérer.
En cas de doute, questionnez votre chiropraticien ou un autre professionnel de la santé de confiance! Des questions générales par rapport à la douleur? N’hésitez pas à commenter !
Références :
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*Traduction libre de la définition de l’IASP-International Association for the Study of Pain.
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