Julie labonté: "le plus gros défi de ma carrière"
23 décembre, 2015
Par Laurent Godbout
Après une année 2015 mouvementée et passablement difficile, Julie Labonté n'hésite pas à reconnaître que 2016 représentera sans doute le plus gros défi de sa carrière. Confrontée à de nombreux problèmes dans son entourage en Arizona, alors que son ex-entraîneur Craig Carter a été arrêté pour voies de faits et menaces de mort à l'endroit d'une coéquipière, la recordwoman canadienne du lancer du poids devait également s'adapter à un programme d'entraînement complètement différent.
On le comprend bien, tout ce tumulte dans son environnement aura finalement eu un impact négatif sur ses performances. Avec pour résultat que dans le cercle des lancers, on ne reconnaissait plus la détentrice du record canadien et qu'elle perdait cet automne son brevet de soutien financier de Sport Canada. Il fallait donc retourner à la planche à dessin et travailler sur un nouveau plan pour retrouver la Julie Labonté qui a été la meilleure lanceuse au Canada depuis plusieurs années.
De retour chez elle à Ste-Justine pour le congé des Fêtes, Julie nous parle de son retour en Arizona et du défi qu'elle doit maintenant relever.
On a eu de la difficulté à se rejoindre, quelles sont tes occupations depuis ton retour?
J'avais une conférence de presse aujourd'hui pour lancer la vente des chandails pour mon financement. Nous avons aussi discuté de l'organisation d'une vente aux enchères de certains vêtements que j'ai porté dans des compétitions internationales depuis le début de ma carrière. Je vais vendre des kits d'Athlétisme Canada que j'ai reçu depuis plusieurs années. Il y aura un genre de 5 à 7 pour faire cette vente aux enchères. J'ai beaucoup de soutien de ma communauté et de ma famille.
Avec la perte de ton brevet de Sport Canada, le financement de ton entraînement est devenu un enjeu majeur pour ton retour en Arizona . On a peine à comprendre comment certaines fondations, comme la Fondation Nordiques pour ne nommer que celle-là, n'ait pas jugé bon de te soutenir dans cette période aussi cruciale?
Je ne sais pas. J'ai envoyé ma candidature cette année. Ils m'ont demandé si j'avais terminé mes études. Je leur ai dit que j'ai gradué depuis deux ans. Quand j'étais aux études à l'université de l'Arizona, je n'étais pas éligible pour l'aide financière et on m'appelait. Cette année, alors que je suis admissible et que j'en ai besoin, je n'ai pas eu de réponse.
Comment se passe ton retour en Arizona?
Au début, je me demandais vraiment vers quel entraîneur j'allais me tourner. Après le congédiement de mon ancien entraîneur à l'université de l'Arizona, j'attendais de voir qui allait le remplacer. Je connaissais bien le milieu et comme j'ai gradué de l'université là-bas, je pouvais accéder à des installations comme la salle de musculation, je pouvais aussi avoir la physiothérapie gratuitement. Si j'ai besoin de quelque chose, je peux encore bénéficier de certains services. Finalement, l'université a embauché TJ Crater, qui était coach à Washington State. Je le connaissais un peu et c'est avec lui que je souhaitais m'entraîner.
Le groupe avec lequel tu t'entraînes n'est pas le groupe de l'université?
Je m'entraîne avec Jill Camarena, qui est une lanceuse professionnelle comme moi. Son mari Dustin Williams est physiothérapeute et peut m'aider avec certains exercices et des traitements.
Ton retour à Tucson en octobre, dans les circonstances qu'on connait, c'est un peu comme si tu reprenais à zéro?
Oui, c'est différent. D'abord parce que je dois apprendre une nouvelle technique. J'apprends maintenant la technique de lancer en rotation. Après la séparation avec mon ancien coach l'année dernière, j'ai travaillé un certain temps avec Justin Rodhe. Avec lui, c'était plus un entraînement basé sur la vitesse et l'explosion, avec des charges plus lègères. Ça faisait donc un an que je n'avais pas vraiment fait de musculation lourde. C'est très différent.
Est-ce qu'on peut dire que c'est le plus gros challenge de ta carrière?
Je peux dire que oui. Dans cette technique, il y a un peu de similarités avec le disque mais avec le poids, c'est une autre physionomie. Je répète parfois sans m'en apercevoir des mouvements de mon ancienne technique «glide». En musculation, j'ai recommencé à un niveau assez bas. Au début, j'ai réalisé que je devais y aller un jour à la fois pour progresser. J'avais perdu de la force surtout au niveau des jambes. Il ne fallait pas augmenter trop vite pour éviter les blessures. Au début, quand je faisais des «squats», mon dos était fragile et il fallait que je sois patiente.
Quelle sorte de conversation as-tu eu avec ton nouveau coach?
On s'est parlé d'abord sur Skype et la première question qu'il m'a demandé était ce que j'attendais de lui, ce que je voulais pour mon avenir en lancers. J'ai commencé en lui disant que s'il faisait ceci ou cela... Il m'a interrompu et m'a dit «Julie, je veux savoir ce que tu veux pour ton avenir en lancers». Il m'a ensuite expliqué ses programmes d'entraînement. Je savais que sur le plan des personnalités on allait bien s'entendre. Je savais quel genre de personne il était. Ce n'est pas un coach passif et il me suit de près dans mon évolution.
Quelle est ton évaluation de ce que tu fais depuis que tu as recommencé?
Du côté physique, en musculation, je vois maintenant une grosse différence depuis octobre. J'en avais perdu beaucoup. Côté technique, à chaque jour je travaille un ou deux points. Au début, j'étais comme un robot. Jour après jour, je progresse maintenant aussi en technique.
Est-ce que ta décision de retourner en Arizona est basée sur un engagement à court terme, comme te qualifier pour les Jeux olympiques, ou si c'est plus à long terme, pour prolonger ta carrière le plus longtemps possible?
C'est une bonne question, très bonne question. C'est certain que j'ai d'abord pensé aux Jeux olympiques. Avec la technique «glide» et la force que j'avais perdu, je pensais que j'étais limitée. Je ne suis pas bâtie comme Valerie Adams et après en avoir discuté avec plusieurs personnes, je pensais qu'il fallait que j'essaie avec la technique en rotation. Après quelques essais, ce n'était pas si mauvais que ça et je me suis dit que ça valait la peine d'essayer.
Maintenant que tu as repris un bon rythme d'entraînement, est-ce que vous avez établi une date de retour à la compétition?
Je n'ai pas encore parlé de ça avec mon entraîneur. En temps normal, je débuterais au mois de mars mais comme nous n'en avons pas encore discuté, je ne peux dire encore quand. Ça va dépendre comment je vais répondre à l'entraînement et à la nouvelle technique. La fenêtre pour faire les standards ne sera pas longue. Ce sera entre mars et juillet.
Qu'est-ce qui est le plus difficile dans l'apprentissage de la technique en rotation?
Eh boy! Il y a beaucoup de choses! Il y a le timing, pour relâcher le poids au bon moment. Il y a aussi la façon d'utiliser mes jambes, la poussée vers le haut au lieu de transférer mon poids vers l'avant comme je le faisais. Je dois améliorer ma position de pieds. Présentement, j'ai les pieds trop éloignés l'un de l'autre. C'est seulement à force de répétition que je vais finir par m'améliorer.
Ta partenaire d'entraînement Jill (Camarena), est-elle aussi une adepte du lancer en rotation?
Oui. Jill a d'ailleurs été la première femme à dépasser les 20 mètres avec cette technique. Je peux apprendre beaucoup en l'observant.
Je veux revenir à ta première discussion avec ton nouvel entraîneur TJ Crater. Est-ce que tu lui a clairement exprimé ce que tu recherchais? En fait, quels sont tes objectifs?
Je lui ai dit que je voulais avoir une progression. Avec les dernières années, mes résultats stagnaient et il n'y avait pas de progression. Je voulais être plus forte, plus explosive, être à l'aise. Je voulais avoir une meilleure communication avec mon entraîneur. Pour mes objectifs, je veux redevenir championne canadienne, retourner au niveau de mes 18,31 mètres, ça c'est sûr à 100%. À court terme, je veux faire le standard olympique, qui est maintenant à 17,75 mètres.
Habituellement, ces changements de technique prennent-ils beaucoup de temps?
C'est différent d'un athlète à l'autre. Jill a lancé environ 18 mètres à l'université avec la technique «glide». Une fois qu'elle a décidé d'utiliser la rotation, ça lui a pris 4 à 5 mois pour revenir à son niveau normal. Ensuite, elle a continué sa progression avec la rotation. Si on compare avec Taryn Suttie, la championne canadienne actuelle, ça lui a pris trois ans, mais avec un système d'entraînement différent. C'est différent d'un athlète à l'autre.
Tu as déjà participé aux Jeux olympiques et aux championnats du monde. Cette fois, qu'est-ce qui est différent dans ton cheminement?
Pour moi, c'est de voir, avec les blessures et ce qui s'est passé au cours des deux dernières annés surtout, comment je pourrais revenir au niveau où j'étais. C'est ça mon défi. 2015 a été une étape difficile, mais ça va mieux maintenant et je peux dire que ça m'a fait grandir comme personne. On a pas le choix de passer à travers et ça m'a fait bouger.
On a rencontré ton frère Jean-François récemment et il s'entraîne beaucoup en course à pied. On me dit même qu'il prend ça pas mal au sérieux. D'où ça vient cette motivation?
Il a toujours pratiqué plusieurs sports, le hockey, le karaté, etc. Mais il m'a dit qu'il avait eu la piqure quand il m'a vu participer à Londres. Il a été impressionné en voyant les athlètes qui voulaient se dépasser. Je ne pense pas qu'il fasse cela nécessairement pour atteindre le haut niveau mais juste pour se dépasser et être meilleur. Ça l'a beaucoup motivé. Il voulait aussi se dépasser.
Est-ce que tu trouves ça excessif?
Non. Parce que je sais que les coureurs de longue distance, ça court tout le temps! Quand je suis à la maison, je le vois souvent arriver de courir et je le vois aussi souvent repartir! On est fier pour lui. Il s'améliore tout le temps et il a fait ses standards pour Boston. On s'encourage un et l'autre.
Julie, on te remercie et on te souhaite une super année en 2016 et te voir à Rio au mois d'août.