Les québécois dans les grands rendez-vous internationaux : les jeux olympiques
20 décembre, 2018
Par Denis Poulet
Évaluer la participation et les performances des Québécois aux Jeux olympiques, c'est se plonger dans une histoire qui a plus de 100 ans. C'est aussi découvrir des figures méconnues du passé, dont certaines ont accompli des exploits dignes d'être rappelés à la mémoire collective.
Parler de Québécois avant les années 1960 est cependant anachronique. Les habitants du Québec ou nés au Québec étaient tout simplement des Canadiens. Et les premiers francophones du Québec qui participèrent aux Jeux olympiques (les Étienne Desmarteau, David Béland, Édouard Fabre, Gérard Côté et Lionel Fournier) étaient des Canadiens français.
Même que l'identité canadienne n'était pas très affirmée lors des premiers Jeux. En 1900, à Paris, l'Ontarien George Orton remporta la médaille d'or du 2500 m steeple et celle de bronze du 400 m haies en tant que membre de l'équipe de l'Université de Pennsylvanie. Il représentait donc les États-Unis, même si l'Association olympique canadienne (aujourd'hui le Comité olympique canadien) le considéra par la suite comme le premier médaillé olympique canadien.
Étienne Desmarteau, Frank Lukeman et Percival Molson (qui a donné son nom au stade de l'Université McGill) furent les premiers « Québécois » à participer aux compétitions d'athlétisme des Jeux olympiques. C'était en 1904, à Saint-Louis, dans le Missouri, où le policier montréalais Étienne Desmarteau remporta la médaille d'or du lancer du poids de 56 lb, battant les cinq Américains inscrits au concours.
Il faudra attendre 92 ans pour revoir un Québécois sur la plus haute marche du podium olympique. Bruny Surin est le seul autre médaillé d'or olympique en athlétisme provenant du Québec, résultat de sa contribution à la victoire du Canada au relais 4 x 100 m des Jeux d'Atlanta.
Participation très variable
La participation québécoise a beaucoup varié, de nulle (1920, 1960 et 1964) à 12 (1988). Évidemment, on ne parle que des Jeux auxquels le Canada a participé. Il n'y eut pas d'équipe canadienne à Athènes (1896), Paris (1900) et Moscou (1980).
C'est à Séoul, en 1988, que cette participation a culminé. Les 12 athlètes du Québec constituaient alors près de 20 % de l'équipe nationale. Mais aux Jeux suivants, à Barcelone, avec moins d'athlètes, la représentation québécoise atteignit 21,7 % (10/46). Il y avait également 10 Québécois dans l'équipe canadienne des Jeux de 1984.
Avant les Jeux de Montréal en 1976, où huit Québécois eurent le privilège de concourir devant leurs proches, le nombre de participants québécois n'avait jamais dépassé cinq. Et depuis les Jeux de 1996, il n'a jamais dépassé six.
Surin le plus assidu
Au total, on compte 76 participants québécois aux épreuves d'athlétisme des Jeux. Bruny Surin est celui qui y a participé le plus souvent, soit à quatre éditions consécutives, de 1988 (au saut en longueur) à 2000. Ses résultats comptent aussi parmi les plus brillants avec une médaille d'or (relais 4 x 100 m en 1996) et une 4e place (100 m en 1992).
Ont participé à trois Jeux : Rosey Edeh (400 m haies en 1988, 1992 et 1996), Guillaume Leblanc (20 km marche et 50 km marche en 1984 et 1992, 20 km marche en 1988) et Frank Lukeman (200 m en 1904, 100 m et longueur en 1908, 100 m et pentathlon en 1912).
Enfin 11 athlètes ont participé à deux Jeux : Lizanne Bussières (marathon en 1988 et 1992), Bishop Dolegiewicz (disque en 1976 et poids en 1984), Edrick Floréal (triple saut en 1988 et longueur en 1992), Marcel Jobin (20 km marche en 1976, 20 km marche et 50 km marche en 1984), Odette Lapierre (marathon en 1988 et 1992), François Lapointe (20 km marche et 50 km marche en 1984 et 1988), Nicolas Macrozonaris (100 m en 2000 et 2004), Warren Montobone (400 m haies en 1924 et 1928), Tina Poitras (10 km marche en 1992 et 1996), Achraf Tadili (800 m en 2004 et 2008) et Alex Wilson (400 m, 800 m et relais 4 x 400 m en 1928 et 1932).
Tous les participants québécois aux Jeux olympiques
Trios de marcheurs et de marathoniennes
Il faut le souligner parce que la chose est rare, à deux reprises les trois représentants canadiens dans une discipline furent des Québécois ou Québécoises.
Aux Jeux de 1984 à Los Angeles, Marcel Jobin, Guillaume Leblanc et François Lapointe prirent part tous les trois au 20 km marche et au 50 km marche. Leblanc fut le meilleur avec une 4e place au 20 km (c'était huit ans avant sa médaille d'argent de Barcelone en 1992).
En 1988, à Séoul, trois Québécoises étaient sur la ligne de départ du marathon : Odette Lapierre se présenta la première au fil d'arrivée (11e), suivie de Lizanne Bussières (26e) et Ellen Rochefort (31e).
Les médaillés
Au total, les Québécois ont amassé 15 médailles en athlétisme aux Jeux olympiques, soit deux en or, quatre en argent et neuf en bronze.
OR (2) : Étienne Desmarteau (poids 56 lb, Saint-Louis 1904); Bruny Surin (relais 4 x 100 m, Atlanta 1996)
AR (4) : Alex Wilson (800 m, Los Angeles 1932); Hilda Strike (100 m et relais 4 x 100 m, Los Angeles 1932), Guillaume Leblanc (20 km marche, Barcelone 1992)
BR (9) : Frank Lukeman (pentathlon, Stockholm 1912); William Happenny (perche, Stockholm 1912); Alex Wilson (relais 4 x 400 m, Amsterdam 1928; 400 m et relais 4 x 400 m, Los Angeles 1932); Phil Edwards (800 m, 1500 m et relais 4 x 400 m, Los Angeles 1932; 800 m, Berlin 1936)
L'homme de bronze
Phil Edwards (1907-1971) en compte cinq à lui tout seul, toutes en bronze. Le tableau ci-dessus n'en indique que quatre, mais il en avait aussi gagné une aux Jeux de 1928, au relais 4 x 400 m, avant de venir s'établir au Québec en 1931. Edwards était né en Guyane britannique et entreprit des études universitaires à l'Université de New York. Il ne pouvait toutefois pas représenter les États-Unis aux Jeux olympiques, n'étant pas citoyen américain, et son pays d'origine n'avait pas d'équipe olympique. En tant que sujet britannique, il pouvait toutefois choisir de représenter un autre pays de l'Empire britannique. Il opta pour le Canada, qu'il représenta aux Jeux de 1928 après avoir participé aux épreuves de sélection à Hamilton.
En 1931, Edwards décida de poursuivre ses études à l'Université McGill, s'engageant dans un long parcours en médecine tout en poursuivant sa brillante carrière sportive. Il s'établit à Montréal, où il devint spécialiste de la tuberculose et des maladies tropicales. Il y est mort en 1971.
Celui qu'on surnomma « l'homme de bronze » vient au 11e rang des meilleurs de tous les temps en athlétisme aux Jeux olympiques selon un classement établi par l'IAAF : outre ses cinq médailles de bronze, il compte deux 4e place et une 5e place, pour un total de 44 points, ce qui le place devant des légendes comme Emil Zatopek et Lasse Viren.
Pour en savoir plus sur Phil Edwards, voir sa notice biographique dans l'Encyclopédie canadienne.
Victime d'une double injustice
La Montréalaise Hilda Strike (1910-1989) mérite elle aussi de sortir de l'ombre. Et d'autant plus qu'on a su, près de 50 ans après les Jeux de 1932, que sa grande rivale, la Polonaise Stanislawa Walasiewicz, gagnante de la médaille d'or, était hermaphrodite (à la fois de sexe masculin et de sexe féminin). Les deux rivales avaient été chronométrées en 11,9, ce qui égalait le record du monde, mais cette marque ne fut jamais ratifiée (deuxième injustice).
Pour en savoir plus sur Hilda Strike, voir Hilda Strike : médaillée d'argent ou médaillée d'or? par Monique Laforge, ou Hilda Strike, par Paul Foisy.
Une médaille de bronze pour une 4e place
Dans les histoires insolites des Jeux olympiques se trouve celle de la médaille de bronze du Montréalais Frank Lukeman (1885-1946) au pentathlon en 1912. Le pentathlon comprenait le saut en longueur, le lancer du javelot, le 200 m, le lancer du disque et le 1500 m. Le calcul des points était simple : le 1er d'une épreuve recevait 1 point, le 2e 2 points, le 3e 3 points et ainsi de suite. Le total le plus bas indiquait le gagnant. Lukeman se classa 4e avec 29 points, le même total que l'Américain James Donahue, mais on départagea les deux athlètes en calculant leur score à l'aide de la table de décathlon, ce qui favorisa l'Américain.
Peu après (en 1913), le gagnant du pentathlon (et aussi du décathlon), l'Américain Jim Thorpe, fut disqualifié sous prétexte de ne pas avoir respecté le statut d'amateur avant les Jeux. Le Norvégien Ferdinand Bie hérita de la médaille d'or, Donahue de l'argent et Lukeman du bronze. En 1982, le CIO réhabilita Thorpe, décédé 29 ans plus tôt, et lui rendit sa médaille d'or à titre posthume (de même que celle du décathlon). Les trois autres médaillés ne furent toutefois pas déclassés, conservant leur médaille de 1913.
Pour en savoir plus sur Frank Lukeman, voir Le coureur Frank Lukeman, par Paul Foisy.
Autres bons résultats
Si on passe à une époque plus récente, on peut trouver quelques performances dignes de mention (dans les 12 premiers), en plus de la médaille d'or de Bruny Surin en 1996 et de celle en argent de Guillaume Leblanc en 1992 :
Los Angeles 1984 : Guillaume Leblanc 4e au 20 km marche, François Lapointe 11e au 20 km marche, Bishop Dolegiewicz 11e au poids, Carmen Ionesco 12e au poids
Séoul 1988 : Julie Rocheleau 6e au 100 m haies, Guillaume Leblanc 10e au 20 km marche, Odette Lapierre 11e au marathon
Barcelone 1992 : Bruny Surin 4e au 100 m
Atlanta 1996 : Rosey Edeh 6e au 400 m haies
Sydney 2000 : Kwaku Boateng 12e au saut en hauteur
Pékin 2008 : Hank Palmer 5e au relais 4 x 100 m
Rio 2016 : Farah Jacques 7e au relais 4 x 100 m
Résultats détaillés de tous les Québécois aux Jeux olympiques
En guise de conclusion à cette série
Même si je connaissais de grands pans de l'histoire de l'athlétisme québécois, j'ai découvert plusieurs choses au cours de mes recherches en vue de cette série. Ce qui m'a frappé le plus, c'est la réussite de certains athlètes dans des disciplines marginales ou méconnues, et ce, quelle que soit l'époque.
Dans les années 1920, on retrouve deux bons coureurs de 400 m haies, Warren Montabone et Sydney Pearce. Bien plus tard se feront valoir, dans cette épreuve, les Pierre Léveillé, Christine Slythe, Rosey Edeh et Alexandre Marchand. Le 3000 m steeple est une autre épreuve qui peut sembler étrange sous nos cieux : Phillipe Laheurte, Jean-Nicolas Duval et Alex Genest y ont excellé.
Se sont aussi manifestés sur la scène internationale des lanceurs de poids (Étienne Desmarteau, Lucette Moreau, Bruno Pauletto, Julie Labonté), des sauteurs en hauteur (Arthur Jackes, Claude Ferragne, Robert Forget, Alain Métellus, Charles Lefrançois, Kwaku Boateng), des triples sauteurs (Arthur Maranda, Edrick Floréal), des lanceurs de javelot (André Lajoie, André Claude, Céline Chartrand, Isabelle Surprenant, Luc Laperrière, Monique Laprès, Louis Brault), une lanceuse de marteau (Michelle Fournier), ainsi que des marcheurs et des marcheuses.
Marcel Jobin est évidemment le premier nom qui vient à l'esprit quand on parle de marche. Mais le « fou en pyjama » (c'est le titre du livre qui raconte une partie de sa vie et qui a été publiée en 1980 alors qu'il n'avait que 38 ans) a eu des prédécesseurs et des successeurs. George Goulding (1912), Nicolas Marrone (1963) et Yvon Groulx (1967) l'ont précédé en compétition internationale. Guillaume Leblanc fut son dauphin (et même rival un certain temps), puis ont suivi les Martin St-Pierre, Tina Poitras, Martin Archambault, Pascale Grand, François Lapointe et Marina Crivello. Ça fait pas mal de fous (et de folles) en pyjama!
Je ne veux pas insister sur la « faible » représentation québécoise aux grands rendez-vous internationaux. C'est une constante de notre histoire, pour ne pas dire une fatalité. N'empêche, ils sont nombreux les « marginaux » qui s'y sont fait valoir. Et ils sont surtout inspirants. Quelle que soit sa spécialité, tout athlète québécois peut nourrir des ambitions légitimes de participation à de très grandes compétitions. Des modèles ont tracé la voie.
FIN DE LA SÉRIE