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Les records oubliés

Athlétisme Québec

Les records oubliés

Par Denis Poulet, responsable du Comité des records

Les records sont faits pour être battus, dit-on, mais certains ne le seront jamais. Ils ont été réalisés dans des épreuves qu'on ne dispute plus ou dont certaines caractéristiques ont changé. C'est le cas des courses sur des distances en verges (100, 220, 300, 440, 600, 880, etc.) et d'autres épreuves comme le javelot, dont le centre de gravité a été déplacé en 1986 (pour les hommes) et 1999 (pour les femmes). 

À plus de 80 mètres à l'ancien javelot

Je mentionne le javelot dès le début de cet article parce que plusieurs Québécois et Québécoises y ont excellé. Le 6 mai 1972, à Quantico, en Virginie, André Claude devenait le premier lanceur de javelot canadien à atteindre 80 mètres. Sa performance de 80,54 m était un record canadien, qui battait par un peu plus de 2 mètres le record précédent (Stuart Hunnings en 1969). Le 7 mai 1977, Luc Laperrière porte le record du Québec à 81,64 m à Fresno, en Californie, puis, le 14 juin 1980, le lanceur d'origine roumaine Gheorghe Megelea, établi au Québec, atteint 82,68 m à Sherbrooke. C'est le dernier record québécois à l'ancien javelot.

Megelea n'était pas n'importe qui. Il avait remporté la médaille de bronze aux Jeux olympiques de Montréal en 1976 (87,16 m). L'année suivante, encore à Montréal, il atteindra 88,00 m, son sommet. Pas étonnant qu'il ait choisir de venir y terminer sa carrière. Et par une drôle de coïncidence, c'est un autre immigrant de haut niveau en fin de carrière qui détient le record du Québec actuel. Originaire du Paraguay, Nery Gustavo Kennedy est venu s'établir au Québec en 2007 et s'est joint au club Les Vainqueurs. Le 3 juillet 2008, aux Championnats canadiens à Windsor, en Ontario, il a projeté l'engin de 800 g à 76,66 m en qualification, meilleur résultat de la compétition et record du Québec (au javelot d'aujourd'hui). Son record personnel se situe à 81,28 m (1998).

Revenons à l'ancien javelot. Phil Olsen, de la Colombie-Britannique, détient le record du Canada à 87,76 m (1976), tandis que, au niveau mondial, l'Allemand Uwe Hohn a atteint 104,80 m en 1984 à Berlin. Cette distance phénoménale est l'une des raisons pour lesquelles on a changé le centre de gravité de l'engin : trop loin, trop dangereux!

Chez les femmes, le déplacement du centre de gravité ne s'est fait qu'en 1999. Le dernier record québécois à l'engin qui a précédé appartient à Céline Chartrand, soit 59,76 m, atteint le 20 juin 1987 à Montréal. C'était aussi un record canadien, qui a tenu le coup pendant 10 ans. Céline fut la meilleure d'une lignée de très bonnes lanceuses québécoises qui comprenait aussi Monique Laprès (56,40 m en 1982), Monique Pion (52,26 m en 1980), Lise Boyer (51,60 m en 1979) et Louise Béland (49,90 m en 1975).Céline détient également les records québécois de l'ancien javelot de 600 g chez les juniors (55,30 m en 1981) et les juvéniles (53,66 m en 1978). 

Les records en mesures impériales

C'est au début des années 1970 que le Canada a adopté officiellement le système métrique. Pour l'athlétismequébécois, cela voulait dire passer aux distances en mesures impériales à celles, plus répandues dans le monde et en vigueur aux Jeux olympiques, en mesures métriques. Cela voulait dire passer du 100 verges au 100 mètres, du 220 verges au 200 mètres, etc.

J'ai cherché en vain une liste des records québécois en plein air sur les distances en mesures impériales. En 1970, la liste des records du Québec n'affichait déjà les records que dans les épreuves sur distances métriques, soit le 100 mètres, le 200 mètres, etc. Par contre, j'ai retrouvé une liste de records en salle sur des distances impériales, publiée en 1971. Voici quelques-uns de ces records oubliés :

Hommes

50 verges : 5,3 s par Michel Charland le 24 février 1967 et le 20 février 1971

60 verges : 6,3 s par Michel Charland le 2 mars 1968

600 verges : 1:14,3 min par Denis Poulet le 2 mars 1968

880 verges : 1:58,3 min par Daniel Laurier le 18 janvier 1969

1000 verges : 2:18,0 min par Guy Lépine le 22 mars 1969

60 verges haies : 7,6 s par Tony Nelson le 18 janvier 1969 

Femmes

50 verges : 6,0 s par Joan Hendry le 9 décembre 1967

60 verges : 7,1 s par Barbara Jalbert le 7 mars 1964

300 verges : 40,1 s par Yvonne Saunders le 27 février 1970

600 verges : 1:31,2 min par Chris Russell le 27 février 1970

880 verges : 2:28,1 min par Chris Russell le 17 janvier 1970

60 verges haies : 9,1 s par Gail Rogers et Anne Wilkinson le 7 mars 1964

Souvenir personnel avec record à la clé  

Vous aurez peut-être noté que mon nom apparaît dans cette liste. Permettez que je vous raconte Au début de mars 1968, en compagnie de quelques coéquipiers du club de l'Université de Montréal – notre accompagnateur et chauffeur était Jean-Paul Baert –, j'ai participé à une compétition en salle au Colby College, à Waterville dans leMaine. C'était la première fois que je pouvais courir sur une vraie piste en salle, où j'étais autorisé à chausser mes crampons.

Les conditions dans lesquelles nous courions au Québec étaient pitoyables. Le plus souvent, c'était dans un gymnase de l'Université McGill sur fond de ciment : en bons vieux « running shoes », pas de virages inclinés, autour de bornes marquées par des chaises Ce n'est qu'en 1971 que sera inaugurée dans la province une piste digne de ce nom, recouverte d'un matériau synthétique, au PEPS de l'Université Laval.

À Waterville, c'était une piste en « cendrée », selon ce que précise la liste des records consultée. C'était un matériau composé de sable et de poussière de roche sur lequel j'avais l'habitude de courir à l'extérieur. Ce fut miraculeux : j'ai remporté aisément ma vague du 600 verges en 1:14,3 min, record du Québec par près de cinq secondes. 

Épreuves retirées du programme et conditions modifiées

Au cours des 50 dernières années, l'athlétisme québécois a beaucoup évolué. Le programme des épreuves officielles a été modifié à plusieurs reprises, tout particulièrement dans les catégories les plus jeunes, et plusieurs épreuves ont fait l'objet de modifications des conditions de pratique : changement de poids d'engin, changement de hauteur des haies, changement de distance entre les haies, introductionpuis disparition de la « zone d'élan » dans les sauts horizontaux, changement de la composition des épreuves combinées, etc. Bien des records ont ainsi pris le chemin des oubliettes.

J'ai tenté de dresser une liste de ces records, à partir d'une vingtaine de listes publiées par la Fédération au fil du temps et de compilations parues dans des revues. J'ai dû cependant faire face à plusieurs embûches, notamment le manque de détails comme la hauteur des haies ou le poids de l'engin. De plus, la composition des tranches d'âge a varié. Un junior pouvait avoir 20 ans dans les années 1970, par exemple. Et la fourchette d'âge n'était pas forcément la même pour les garçons et les filles dans une même catégorie. 

Autre difficulté, l'évolution du programme des épreuves officielles a rendu inadmissibles aux records certaines épreuves auxquelles les athlètes ont continué quand même de participer. Exemple assez récent : depuis 2012, on ne reconnaît plus de records en salle aux 300, 600 et 1000 m chez les moins de 18 ans. Or, les athlètes des catégoriesU14, U16 et U18 participent toujours à ces épreuves, que ce soit dans des compétitions ouvertes au Québec ou dans leur groupe d'âge aux États-Unis, et il arrive que certains fassent mieux que le dernier record reconnu. Leurs performances ne sont cependant pas homologuées comme records, ce qui fait que les records désuets ont une moindre valeur. 

C'est la même chose quand un lanceur ou une lanceuse lance un engin de poids supérieur à celle qui prévaut dans sa catégorie ou qu'un coureur ou une coureuse de haies court sur des haies plus hautes que dans sa catégorie. Il ou elle peut améliorer l'ancien record de sa catégorie associé àl'engin de poids supérieur ou aux haies de hauteur supérieure sans se voir reconnaître cette nouvelle marque.  

Bref, un certain nombre de records désuets ont été battus en réalité et ne méritent pas d'apparaître dans une liste qui a pour objectif de ramener à la mémoire des marques du passé significatives. 

Dans les épreuves de course qui sont toujours admissibles aux records, on a eu longtemps des chronométrages manuels, jusqu'au milieu des années 80. Dans les listes de records des années 70 et 80, on a souvent le record « manuel » (à une décimale) et le record « électronique » (à deux décimales) côte à côte. On considérait alors qu'il y avait deux records officiels. Évidemment, les records manuels sont devenus caducs là où il y avait un record électronique. Je n'ai pas inclus les records manuels, très nombreux, dans ma liste, sauf certains qui n'ont jamais été surpassés parce que l'épreuve à laquelle ils se rattachaient a disparu. 

Il faut donc considérer les records de ma liste avec circonspection.

Liste des records désuets

On note dans cette liste la présence de grands noms de l'histoire de l'athlétisme québécois. Ainsi, le marcheur Guillaume Leblanc s'y retrouve six fois. À la douzaine de records en vigueur qu'il détient toujours, on pourrait ajouter ces six-là. 

Alex Genest, Hank Palmer, Martin St-Pierre, Lucette Moreau, Céline Chartrand, Rosey Edeh et Geneviève Thibault sont d'autres « grande figures » de l'athlétisme québécois qui détiennent des records désuets. Nul doute que leurs performances dans des épreuves disparues, c'était du solide!

En revanche, ce palmarès renferme des noms peu connus, qui n'ont peut-être comme titre de gloire qu'un seul record malheureusement oublié.

Quelques records insolites sont dignes de mention : ainsi le record sénior du 20 000 m sur piste de Rich Pyne en 1973 à Paris (1 h 5 min) ou celui des 10 milles de Bill Peel en 1969 (54:03,6 min).

Records de grand fond

En 1987, Simon Laporte a transmis à la revue Athlétisme et course sur route une série de « meilleures performances québécoises » de grand fond (qu'on appelle maintenant « ultrafond »). Il vaut la peine de reproduire ce palmarès inusité, qui peut toujours servir de référence à notre époque, marquée par des défis de course à pied de plus en plus extravagants. Ces « records » de grand fond manquent cependant de précision et ne sauraient être reconnus par le Comité des records, les voici tout de même.

100 km : 6:36:56 h par Richard Chouinard à Montmagny en juillet 1979

100 milles : 17:14:06 h par Simon Laporte à New York en septembre 1983

24 heures : 212,6 km par Simon Laporte à Ottawa en mai 1986

6 jours (hommes) : 748,3 km par Michel Careau à New York en juin 1987

6 jours (femmes) : 535,9 km par Antonia Locs à New York en juin 1987

1000 milles : 14 jrs 18 h 54 min 57 sec par Michel Careau à New York en juin 1987

Il est possible que certains de ces records aient été battus. Toute information à ce sujet est la bienvenue. Et tout record désuet digne de mention qui manque à ma liste est aussi le bienvenu, à condition qu'il soit documenté : épreuve(spécifications techniques si possible), athlète, année de naissance, club, date et lieu. 

Avant ma recherche, la base de données des records contenait déjà quelques records désuets. Serge Turgeon, qui gère cette base de données, y a ajouté ceux que j'ai découverts. Ainsi risqueront-ils moins de retomber dans l'oubli!

 

Un gros merci à Jacques Chapdelaine pour son regard sur la version initiale de ma liste et ses suggestions de corrections!

 

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